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Vidéosurveillance en entreprise : Un employeur peut-il surveiller ses employés ?

Quiz RGPD - Inkivari
Un employeur peut-il utiliser la vidéosurveillance pour surveiller ses employés ?
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La question de la vidéosurveillance en milieu professionnel soulève des enjeux cruciaux entre les impératifs de sécurité des entreprises et le respect des libertés fondamentales des salariés. En France, ce dispositif fait l'objet d'un encadrement juridique strict qui concilie ces deux exigences légitimes. Cet article examine en profondeur les conditions dans lesquelles un employeur peut légalement mettre en place une vidéosurveillance, en analysant les deux principes essentiels : la nécessité de motifs légitimes et justifiés, ainsi que l'obligation impérative d'information des salariés.


Le cadre juridique de la vidéosurveillance au travail

Un dispositif strictement encadré par le droit français

La vidéosurveillance en entreprise constitue un traitement de données à caractère personnel dès lors que les personnes filmées sont identifiables. À ce titre, elle relève d'un arsenal juridique complexe comprenant le Code du travail, le Code civil, le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), ainsi que les recommandations de la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés (CNIL).​

Les finalités légitimes : seules certaines justifications sont acceptées

Un employeur ne peut installer des caméras dans ses locaux sans définir préalablement un objectif précis, légal et légitime. La CNIL et la jurisprudence reconnaissent plusieurs finalités acceptables pour justifier la mise en place d'un système de vidéosurveillance.​

La sécurité des biens et des personnes constitue la finalité la plus couramment admise. Elle permet d'installer des caméras à titre dissuasif ou pour identifier les auteurs de vols, dégradations, agressions ou intrusions. Cette justification autorise par exemple la surveillance des entrées et sorties, des zones de stockage de marchandises de valeur, ou des espaces sensibles contenant des équipements coûteux.​

La prévention des risques professionnels et la gestion des accès à certains locaux sensibles constituent également des objectifs légitimes. Un employeur peut ainsi installer des caméras pour contrôler l'accès à des salles serveurs, des locaux techniques, ou des archives contenant des informations confidentielles.​

En revanche, il est formellement interdit d'utiliser la vidéosurveillance pour contrôler de manière constante l'activité des salariés, évaluer leur productivité, ou surveiller leur temps de travail de façon permanente. La CNIL rappelle régulièrement que "la possibilité de regarder les images sur tablette ou téléphone ne doit pas conduire à surveiller ses employés pour leur faire des remarques sur la qualité du travail".


Les zones autorisées et interdites : une cartographie précise

Les emplacements où les caméras peuvent être installées

La réglementation autorise l'installation de caméras dans certaines zones spécifiques, à condition que leur positionnement respecte le principe de proportionnalité. Les entrées et sorties des bâtiments peuvent être filmées, tout en veillant à ne capturer que la surface strictement nécessaire pour éviter de filmer les propriétés voisines ou la voie publique.​

Les issues de secours et les principales voies de circulation internes constituent également des emplacements autorisés, car ils répondent à des objectifs de sécurité évidents. Les zones de stockage de marchandises, les entrepôts, les réserves et les locaux techniques peuvent être placés sous surveillance vidéo lorsqu'ils contiennent des biens de valeur ou des équipements sensibles.​

Dans les commerces, les espaces de vente, les rayons et les caisses peuvent être filmés, mais avec des restrictions importantes. Si une caméra filme une caisse enregistreuse, elle doit être orientée de manière à filmer davantage la caisse elle-même que le caissier qui la manipule. Cette distinction illustre parfaitement l'équilibre recherché entre sécurité et respect de la vie privée.​

Les espaces strictement interdits à la vidéosurveillance

Certaines zones sont totalement exclues du champ de la vidéosurveillance car elles relèvent de l'intimité et de la vie privée des salariés. Les toilettes, vestiaires, douches et salles de bain constituent des espaces où aucune caméra ne peut être installée sous aucun prétexte.​

Les zones de pause, salles de repos, cafétérias, espaces fumeurs et kitchenettes sont également protégées. Si des dégradations sont constatées dans ces espaces, comme des vols sur des distributeurs alimentaires, les caméras doivent être orientées pour filmer uniquement l'objet concerné et non l'ensemble de la pièce.​

Les locaux syndicaux et ceux des représentants du personnel (CSE, délégués) bénéficient d'une protection particulière. Il est également interdit de filmer leur accès lorsque celui-ci ne mène qu'à ces seuls locaux, afin de ne pas dissuader l'exercice des droits syndicaux.​

Les postes de travail des salariés ne peuvent être filmés en continu, sauf dans des circonstances exceptionnelles dûment justifiées. La Cour de cassation a jugé qu'une surveillance constante d'un salarié à son poste de travail constitue une atteinte disproportionnée à sa vie privée, même si l'objectif est d'assurer la sécurité.


L'obligation d'information : un impératif absolu

L'information collective et la consultation du CSE

Avant toute installation d'un système de vidéosurveillance, l'employeur doit impérativement consulter le Comité Social et Économique (CSE) lorsqu'il existe dans l'entreprise. ​

Cette consultation doit être réelle et effective, permettant un véritable échange d'informations et de points de vue. L'employeur doit fournir au CSE tous les éléments nécessaires pour une évaluation approfondie : nature du dispositif, finalités précises, données collectées, modalités de conservation, mesures de sécurité prévues. Le CSE doit disposer d'un délai suffisant pour examiner ces documents et formuler un avis motivé.​

Un dispositif installé sans consultation préalable du CSE peut être jugé illégal, rendant les preuves obtenues inadmissibles en cas de litige et exposant l'employeur à des sanctions financières supplémentaires.​

L'information individuelle des salariés

L'article L. 1222-4 du Code du travail impose clairement que "aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance". Chaque salarié doit donc être informé individuellement de l'existence du système de vidéosurveillance.​

Cette information peut prendre différentes formes : note de service, mention dans le règlement intérieur, avenant au contrat de travail, ou tout autre moyen approprié. Un écrit est fortement recommandé pour établir une preuve en cas de contestation.​

L'information collective par affichage est également obligatoire. Des panneaux doivent être installés de façon visible et permanente dans les lieux concernés. Ces panneaux doivent comporter plusieurs mentions obligatoires : un pictogramme représentant une caméra, les finalités du traitement, la durée de conservation des images, le nom ou la qualité du responsable et son numéro de téléphone, l'existence des droits "Informatique et Libertés", et le droit d'introduire une réclamation auprès de la CNIL avec ses coordonnées.


Les obligations de gestion et de sécurité

La conservation limitée des images

L'employeur doit définir une durée de conservation des images qui soit proportionnée à l'objectif poursuivi. La CNIL recommande une durée maximale d'un mois, considérant que conserver les images quelques jours suffit généralement pour effectuer les vérifications nécessaires en cas d'incident et enclencher d'éventuelles procédures disciplinaires ou pénales.​

Cette durée ne doit pas être fixée en fonction de la seule capacité technique de stockage de l'enregistreur numérique. Il existe des exceptions à cette règle : si des procédures judiciaires ou disciplinaires sont engagées, les images concernées peuvent être extraites du dispositif et conservées pour la durée de la procédure, après consignation de cette opération dans un registre spécifique.​

L'accès restreint et sécurisé aux enregistrements

Seules les personnes expressément habilitées par l'employeur, dans le strict cadre de leurs fonctions professionnelles, peuvent accéder aux images enregistrées. Il s'agit généralement du responsable de la sécurité, de la direction générale en cas de besoin justifié, ou du responsable informatique. Le nombre de personnes autorisées doit rester strictement limité.

Ces personnes doivent être particulièrement formées et sensibilisées aux règles de mise en œuvre d'un système de vidéosurveillance et au respect de la protection des données personnelles. L'accès aux vidéos doit être protégé par des identifiants personnels et des mots de passe robustes, avec une journalisation complète des connexions permettant de tracer qui a accédé à quoi et quand.​

Si les images sont accessibles à distance via internet ou une application mobile, l'employeur doit impérativement sécuriser cet accès par des connexions https, des mots de passe sécurisés, et éventuellement des restrictions géographiques ou horaires. L'enregistrement du son, en plus des images, est réservé à des situations particulières et ne doit pouvoir être déclenché qu'à l'initiative d'un employé en cas d'événement le justifiant, comme une agression.


Les obligations administratives de conformité

Le registre des activités de traitement

Depuis l'entrée en vigueur du RGPD, les entreprises ne sont plus tenues de déclarer leurs dispositifs de vidéosurveillance auprès de la CNIL pour les lieux non ouverts au public. Cette obligation a été remplacée par celle de tenir un registre des activités de traitement, document obligatoire qui recense l'ensemble des traitements de données personnelles mis en œuvre par l'organisme.​​

Ce registre constitue un outil de pilotage et de démonstration de la conformité au RGPD. Il permet à l'entreprise de documenter ses pratiques et de se poser les bonnes questions sur la nécessité et la proportionnalité de ses dispositifs.​

L'analyse d'impact relative à la protection des données (AIPD)

Dans certains cas, la mise en place d'un système de vidéosurveillance nécessite la réalisation d'une Analyse d'Impact relative à la Protection des Données (AIPD). Cette obligation s'applique lorsque le traitement est susceptible d'engendrer un risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques.​​

Cette analyse doit notamment justifier la finalité poursuivie, décrire précisément le dispositif technique (plans d'implantation, champs de vision, caractéristiques du matériel), démontrer la proportionnalité des mesures, détailler la durée de conservation, lister les personnes habilitées à accéder aux images, et décrire les mesures de sécurité mises en place. Le délégué à la protection des données (DPO) doit obligatoirement être associé à cette démarche.​

Les autorisations préfectorales pour les lieux ouverts au public

Lorsque les caméras filment un lieu ouvert au public (espaces d'entrée et de sortie du public, zones marchandes, comptoirs, caisses), le dispositif doit être autorisé préalablement par le préfet du département ou le préfet de police à Paris. Cette autorisation constitue une formalité distincte des obligations liées au RGPD et s'inscrit dans le cadre du Code de la sécurité intérieure.​

Depuis 2024, toute demande d'autorisation préfectorale doit obligatoirement être accompagnée d'une AIPD avec l'avis du délégué à la protection des données. Cette exigence renforce considérablement le niveau de justification requis pour les dispositifs filmant des espaces publics.​


Les conséquences en cas de litige individuel

Lorsqu'un dispositif de vidéosurveillance n'a pas été correctement déclaré ou ne respecte pas les obligations d'information, les preuves obtenues peuvent être jugées irrecevables devant les juridictions prud'homales. Cependant, la jurisprudence a nuancé cette position : si le dispositif n'avait pas pour finalité de surveiller l'activité des salariés mais de sécuriser les lieux, les enregistrements peuvent être recevables même en l'absence d'information préalable.​


Les droits des salariés face à la vidéosurveillance

Le droit d'accès aux images

Conformément au RGPD et à la loi "Informatique et Libertés", toute personne filmée dispose d'un droit d'accès aux enregistrements la concernant. Les salariés peuvent demander à visualiser les images sur lesquelles ils apparaissent, dans le respect d'une procédure définie.​

Ce droit d'accès n'est cependant pas absolu. L'employeur peut refuser l'accès si la communication des images porte atteinte à la vie privée d'autres personnes également présentes sur les enregistrements, ou si elle compromet une enquête en cours. Dans tous les cas, la procédure pour exercer ce droit doit être clairement indiquée sur les panneaux d'information affichés dans les lieux surveillés.​

Le droit d'introduire une réclamation

Les salariés qui estiment que leur employeur ne respecte pas les règles encadrant la vidéosurveillance disposent de plusieurs recours. Ils peuvent saisir le service des plaintes de la CNIL, qui peut contrôler tous les dispositifs installés sur le territoire national. Ils peuvent également alerter les services de l'inspection du travail, particulièrement compétents pour traiter les questions de harcèlement moral au travail.​​


Les bonnes pratiques pour une vidéosurveillance conforme

Analyser la nécessité avant l'installation

Avant d'envisager la mise en place d'un système de vidéosurveillance, l'employeur doit mener une réflexion préalable approfondie, fondée sur une analyse des risques réels. Nous ne pouvons que vous recommander d'identifier d'abord des solutions alternatives moins intrusives. Par exemple, une sécurisation des accès au moyen de badges magnétiques peut constituer une réponse efficace et adaptée à certains objectifs de sécurisation, sans recourir à la vidéosurveillance.​

Cette approche par la minimisation des données constitue un principe fondamental du RGPD. L'employeur doit se demander si la vidéosurveillance est vraiment nécessaire, si d'autres moyens ne permettraient pas d'atteindre les mêmes objectifs, et si le dispositif envisagé est proportionné au regard des risques identifiés.​

Définir précisément les finalités et documenter les choix

La définition claire et précise des finalités constitue le socle de tout dispositif conforme. L'employeur doit pouvoir justifier que chaque caméra répond à un objectif spécifique de sécurité, identifiable et légitime. Cette justification doit être documentée et conservée dans le registre des traitements.​

La cartographie des zones filmées s'avère indispensable. Elle permet de visualiser précisément les champs de vision de chaque caméra, de vérifier qu'aucune zone interdite n'est captée, et de s'assurer de la proportionnalité du dispositif. Cette documentation technique sera particulièrement utile en cas de contrôle de la CNIL ou de contentieux avec des salariés.​

Associer les parties prenantes et garantir la transparence

L'association du CSE dès les premières étapes du projet permet de créer un climat de confiance et de bénéficier d'un regard critique constructif. Organiser des réunions explicatives détaillant les aspects techniques et légaux du dispositif, fournir des documents écrits clairs et précis, et permettre des sessions de questions-réponses constituent autant de bonnes pratiques recommandées.​

La transparence vis-à-vis de l'ensemble des salariés passe par une communication multicanale : panneaux d'affichage visibles et complets, information individuelle par écrit, mention dans le règlement intérieur ou sur l'intranet de l'entreprise. Cette communication doit être maintenue dans le temps, notamment lors de l'intégration de nouveaux collaborateurs.​

Réviser régulièrement le dispositif

Un système de vidéosurveillance doit faire l'objet de révisions périodiques pour s'assurer qu'il reste conforme aux évolutions réglementaires et qu'il demeure proportionné aux risques effectivement constatés. Les autorisations préfectorales pour les lieux ouverts au public doivent être renouvelées tous les cinq ans, ce qui constitue une occasion de réévaluer le dispositif.​

L'employeur doit également veiller à maintenir la formation des personnes habilitées à accéder aux images, à actualiser les mesures de sécurité technique face aux évolutions des cybermenaces, et à supprimer immédiatement les droits d'accès en cas de changement de fonction ou de départ d'un collaborateur.​